Questions techniques et juridiques relatives à l’Arrêté du 25 juillet 2017 portant reconnaissance de l’état de catastrophe naturelle dans le Département des Bouches-du-Rhône

Questions techniques et juridiques relatives à l’Arrêté du 25 juillet 2017 portant reconnaissance de l’état de catastrophe naturelle dans le Département des Bouches-du-Rhône

Publié le : 28/11/2017 28 novembre nov. 11 2017

Plusieurs Communes des Bouches-du-Rhône ont été reconnues en état de catastrophe naturelle selon arrêté en date du 25 juillet 2017, publié au Journal Officiel (JORF N°0204) du 1er septembre 2017, en l’état de « mouvements de terrain différentiels consécutifs à la sècheresse et à la réhydratation de sols ». Sont notamment visées les Communes d’AIX-EN-PROVENCE, pour la période du 1er avril 2016 au 30 septembre 2016, et de MARSEILLE pour la période du 1er juillet 2016 au 30 septembre 2016, ainsi que bon nombre de communes limitrophes.

La publication de cet arrêté est l’occasion de revenir, d’une part, sur la terminologie: « mouvements de terrain différentiels consécutifs à la sécheresse et à la réhydratation des sols » (1), d’autre part, d’évoquer les aspects juridiques et notamment les conditions de mobilisation des garanties d’assurance (2).

1 /  Mouvements de terrain différentiels consécutifs à la sécheresse et à la réhydratation des sols – Définition et objectivation des dommages.


Définition : Utilisé lors de la parution de l’arrêté de catastrophe naturelle précité, ce vocable regroupe un certain nombre de phénomènes physiques successifs, atteignant les sols et les constructions.
Le phénomène déclencheur est météorologique, à savoir une faible pluviométrie, provoquant un abaissement de l’hygrométrie du sol en surface. Cette baisse d’hygrométrie sera plus ou moins profonde jusqu’au front de dessiccation communément considéré comme la « limite » entre le sol asséché et le sol en place avec son hygrométrie « habituelle ». Ce phénomène provoque, notamment dans les sols argileux, une perte de volume par retrait. A l’inverse, dès que l’hygrométrie remonte, le volume du sol augmente à nouveau. Dès lors, les fondations du bâtiment assises sur ces couches de terrain « sensibles », subissent des mouvements de tassement en période de retrait et de remontée en période de gonflement. C’est la raison pour laquelle l’arrêté de « CAT NAT » précise non seulement la sécheresse, mais aussi la réhydratation, phénomène inverse.

Dommages consécutifs : Il est courant que le sol et les configurations ne soient pas homogènes sur l’ensemble du bâtiment, et dès lors, des mouvements différentiels se produisent sous la structure du bâtiment. Celle-ci subit alors des efforts liés au tassement des fondations et résiste jusqu’à la rupture des éléments constitutifs. En substance, les ruptures se présentent généralement sous forme de fissures traversantes horizontales, en diagonale ou en « escalier » en suivant les joints de la maçonnerie. Les linteaux d’ouverture peuvent perdre leur horizontalité provoquant des difficultés à manœuvrer les portes et fenêtres etc…

Objectivation : La manifestation de ces dommages caractéristiques doit conduire le propriétaire de l’ouvrage à porter ceux-ci à la connaissance de son assureur « Multirisques Habitation - MRH » via une déclaration de sinistre dans le respect des conditions légales et contractuelles (cf infra § 2). En effet, seule l’expertise technique diligentée par l’assureur « MRH » faisant suite à la déclaration de sinistre, permettra de déterminer si les désordres sont consécutifs ou non à ce phénomène.
L’expertise technique constitue donc une étape fondamentale du processus indemnitaire et débute généralement par une inspection visuelle de l’ensemble des désordres déclarés. Comme évoqué ci-avant, le type de dommage (fissures) permet de déterminer les efforts subis par la structure et, en première analyse, d’apprécier l’existence de mouvements différentiels qui pourraient en être à l’origine.
Dans l’affirmative, l’expertise se poursuit et doit s’appuyer très rapidement sur une étude de sol de type G5 (suivant la norme NF-P-94-500), en collaboration avec un ingénieur structure qui sera à même d’établir le cahier des charges des investigations géotechniques. Celles-ci permettront de statuer sur la nature des fondations, sur la nature du sol, et par croisement avec l’analyse structurelle, d’établir si les dommages objectivés présentent un lien de causalité avec un phénomène de mouvements de terrain différentiels consécutifs à la sécheresse et à la réhydratation des sols.
Il convient de souligner que les investigations géotechniques précitées sont onéreuses pour l’assureur et peuvent conduire certains experts à opter pour une simple mise en « observation » du bâtiment se matérialisant par la pose de jauges, et ce, dans l’attente d’une hypothétique évolution des dommages. Cette démarche, bien que souvent proposée par les experts, n’est ni sérieuse ni acceptable car, d’une part en l’absence de sècheresse dans les mois suivants, aucune évolution significative ne sera constatée, d’autre part, la fermeture des fissures observable via la disposition de jauges, est un signe manifeste de phénomène retrait-gonflement des sols, mais n’est toutefois pas systématique.

Conclusion : Le rapport final de l’expert mandaté par la Cie d’assurance induira donc, soit une prise en garantie du sinistre (et la réparation des dommages consécutifs), soit à l’inverse, une notification de refus de garantie. A ce titre, l’instruction technique est déterminante et doit s’appuyer sur une démarche professionnelle mêlant, observations visuelles, investigations géotechniques, et interprétation des résultats obtenus. Au défaut, le diagnostic pourra s’avérer erroné et conduire l’assureur à notifier, à tort, un refus de garantie. L’assuré déclarant doit par conséquent faire preuve de la plus grande vigilance et, le cas échéant, ne pas hésiter à solliciter l’assistance technique d’un bureau d’étude.

2 / Aspects juridiques et conditions de mobilisation des garanties d’assurance.

Définition : La loi du 13 juillet 1982 est intervenue pour imposer aux assureurs la garantie des catastrophes naturelles dans les polices d’assurance couvrant les dommages aux biens (police « Multirisques Habitation – MRH). En effet, en application de l’article L 125-1 du Code des Assurances, la garantie « catastrophes naturelles » couvre tous les dommages matériels directs non assurables causés par « l'intensité anormale d'un agent naturel », à condition que les mesures habituelles de prévention n'aient pu être prises ou empêcher la survenance de ces dommages. L'état de catastrophe naturelle doit préalablement être constaté par arrêté interministériel, ce qui est précisément l’objet de l’arrêté du 25 juillet 2017 susvisé. Le risque assuré est donc « composite » nécessitant la réunion de deux éléments, à savoir : d’une part, l’intensité anormale d’un agent naturel (reconnue par arrêté interministériel), d’autre part, la survenance de désordres dans la période considérée par l’arrêté, et affectant un bien situé dans la zone où a été déclaré l’état de catastrophe naturelle.

Déclaration du sinistre : Pour bénéficier de la garantie, l'assuré doit déclarer à l'assureur (par courrier RAR) tout sinistre s’étant manifesté dans la période telle que définie dans l’arrêté (par ex : Commune de MARSEILLE - 1er juillet 2016 au 30 septembre 2016) et susceptible de faire jouer la garantie, dès qu'il en a connaissance et au plus tard dans les dix jours suivant la publication de l'arrêté interministériel constatant l'état de catastrophe naturelle (article A 125-1 du Code des Assurances). En pratique, la jurisprudence reconnaît que le délai dont dispose l'assuré pour déclarer le sinistre peut commencer à courir à partir du moment où il prend pleinement connaissance des dommages. Par exemple, la façade d'un immeuble s'étant fissurée à cause de la sécheresse cinq mois après publication de l'arrêté ministériel, l'assuré pouvait dès lors demander à bénéficier de la garantie nonobstant le caractère tardif de sa déclaration (Cour d’Appel de Toulouse, 8 sept. 1997, Juris-Data n° 1997-056744.). Une fois le délai expiré, l'assuré perd généralement tout droit à être indemnisé, à condition cependant que l'assureur établisse que le retard dans la déclaration lui a causé un préjudice (article L 113-2, Code des Assurances – Cf en ce sens Cour d’Appel de VERSAILLES, 20 septembre 2001- RG 1998-5933).

Indemnisation du dommage : L'assureur devant régler le sinistre est celui dont le contrat est en vigueur à la date de survenance de la catastrophe naturelle directement à l'origine des dommages déclarés. L'assureur doit, après instruction technique du dossier (cf 1 supra), et dans l’hypothèse d’une prise en charge du sinistre déclaré, verser l'indemnité due au titre de cette garantie dans le délai de trois mois à compter de la remise par l'assuré de l'état estimatif des dégâts subis. En cas de retard dans le versement de l'indemnité et sauf force majeure, celle-ci est majorée et porte intérêts au taux légal. La jurisprudence précise que le délai de trois mois ouvert à l'assureur pour régler l'indemnité ne concerne que l'indemnité immédiate correspondant à la valeur d'usage du bien. En revanche, le délai de paiement de l'indemnité différée correspondant à la valeur de reconstruction relève des stipulations contractuelles du contrat socle (Cass., civ. 2e, 13 déc. 2012, n° 11-27.067). Elle correspond généralement  à la valeur d'usage du bien endommagé lors de la survenance de la catastrophe, à moins qu'une clause de garantie « valeur à neuf » n'ait été souscrite.

Franchise : L'assuré conserve à sa charge une partie de l'indemnité due après le sinistre, et il s'interdit de contracter une assurance pour la portion du risque constituée par cette franchise. Pour les dommages matériels affectant des biens à usage personnel, le montant de la franchise est de 380 €, sauf si ces dommages sont imputables aux mouvements de terrain consécutifs à la sécheresse et/ou à la réhydratation des sols, situation dans laquelle elle s'élève à 1 520 €.

Conclusion : La promulgation de l’arrêté de catastrophe naturelle du 25 juillet 2017 va générer (dans un laps de temps relativement bref) une multiplication de déclarations de sinistre, et les enjeux financiers, souvent très importants, pourront inciter certains assureurs à notifier des positions de refus de garantie infondées à l’issue d’investigations techniques incomplètes. L’assuré dispose alors d’un délai de 2 ans (prescription biennale édictée par l’article L 114-1 du Code des Assurances) pour contester la notification de son assureur. Dans cette hypothèse, il est toutefois conseillé d’agir avec célérité et de s’attacher les services d’un homme de loi et d’un conseil technique afin d’envisager la pertinence d’un recours amiable ou judiciaire contre cette décision de refus.

Frédéric BERGANT, Avocat au Barreau de Marseille
ROUSSE & ASSOCIES


Xavier BROUCK, Ingénieur
Bureau d'étude STRUCTURAL CONSULTING

 

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